Définition et impact du sexisme ordinaire
Le concept de sexisme ordinaire a été introduit pour la première fois par Rebecca Whisnant dans les années 70. Selon elle, le “sexisme ordinaire” est quelque chose qui semble très banal et inoffensif mais qui, en même temps, a des effets négatifs sur les femmes sans qu’elles s’en produisent compte et véhicule de nombreux stéréotypes de genre.
Les chiffres sont terribles : selon le premier baromètre sur l’état du sexisme en France publié en mars 2022 par le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, 78% des Françaises ont vécu personnellement un acte sexiste ou ont été destinataires de propos sexistes ! Le rapport révèle, selon ses auteurs « un décalage constant entre d’un côté le vécu du sexisme, persistant, systémique et massif, et la conscience qu’il faut y répondre, quasiment unanime ; et de l’autre l’incapacité à le déceler réellement, notamment lorsqu’il se manifeste au quotidien. Le sexisme est à la fois perçu comme un fléau à combattre, et vécu comme un état de fait quasi imperceptible ».
Et c’est bien en cela qu’il est qualifié d’« ordinaire », c’est à dire « conforme à l’ordre normal des choses »… Vraiment ? Normales toutes ces petites blagues et remarques sexistes qui émaillent notre quotidien ? Réveillons-nous et traquons ce sexisme invisible (ou presque) !
C’est quoi le sexisme ?
On parle de sexisme lorsque des paroles ou des comportements déplacés, discriminatoires, voire violents, sont adressés à des personnes en raison de leur sexe, de leur genre ou de leur sexualité. Le sexisme se fonde sur des préjugés ou des stéréotypes de sexe ou de genre qui attribuent une supériorité intrinsèque à un sexe, un genre ou un type de sexualité (et donc a contrario une infériorité intrinsèque à l’autre). Les cibles du sexisme sont principalement les femmes, mais sont également concernés les homosexuels, les lesbiennes, les personnes trans et intersexuées.
Pour les féministes, le concept est avant tout politique : le sexisme désigne selon l’association Vie féminine « l’ensemble des comportements individuels et/ou collectifs qui perpétuent et légitiment la domination des hommes sur les femmes en s’appuyant sur des stéréotypes pour perpétuer des rôles et attitudes « genrés », différenciés entre hommes et femmes (les femmes sont émotives, se chargent du ménage, ne savent pas conduire,… Les hommes sont forts, se chargent de ramener un salaire au ménage, ne savent pas coudre,…). Le sexisme se présente comme l’huile dans les rouages de l’engrenage infernal des violences faites aux femmes ».
Le gouvernement met à disposition une plateforme de sensibilisation et d’information pour combattre le sexisme ordinaire avec des éléments pour mieux le comprendre.
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Les principales manifestations du sexisme ordinaire
Le sexisme ordinaire a la particularité d’être tellement banalisé et installé dans les pratiques courantes qu’il n’a l’air de rien et qu’on ne le voit même plus. Ce sont des mots, des blagues, des gestes, des non-dits, des paroles insidieuses et sournoises qui mine de rien déstabilisent et délégitiment les femmes. Un collectif de 18 femmes, féministes, a publié un ouvrage : « Survivre au sexisme ordinaire – Analyses et techniques de 18 féministes pour le mettre K.-O. », dont le sommaire récapitule admirablement toutes ces manifestations du sexisme ordinaire :
- C’est un truc de fille, par Eve Cambreleng
- Hé, mademoiselle !, par Alizée Vincent
- T’as des poils, c’est sale !, par Klaire fait Grr
- T’as tes règles ou quoi ?, par Élise Thiébaut
- Fais pas ta prude !, par Lauren Malka
- Laissez-moi vous aider à porter vos affaires, par Marie Kirschen
- Attends, je vais t’expliquer…, par Pauline Harmange
- Mal-baisée !, par Ovidie
- Tu dois être une panthère au lit !, par Kiyémis
- Vous, c’est sûr, vous avez l’instinct maternel, par Amandine Dhée
- On n’est pas vraiment femme avant d’être mère, par Fiona Schmidt
- Tu connais la différence entre une femme et…, par Camille et Justine
- Hystérique !, par Mathilde Larrère
- On ne peut plus prendre l’ascenseur avec une femme, par Valérie Rey-Robert
- Féminazies !, par Paul B. Preciado
- Mais qu’est-ce qu’elles veulent, à la fin ?, par Marie Sauvion
- Entre elles, les femmes sont toutes des garces, par Rebecca Amsellem
- On sait qui porte la culotte, par Élodie Shanta.
Plein d’autres témoignages pour se rendre compte du sexisme et de la misogynie qui s’infuse souvent dans nos quotidiens sont à retrouver sur les réseaux avec des comptes spécialisés dans la lutte contre le sexisme ordinaire :
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Le sexisme ordinaire au travail
En 2018 naissait le collectif #StOpE, qui regroupe aujourd’hui plus de 110 entreprises, et dont l’objectif est de lutter contre le sexisme ordinaire au travail. A cet effet, en 2021, l’organisme a publié un baromètre qui, entre autres, récapitule les principales manifestations du sexisme ordinaire telles que les perçoivent les femmes.
L’étude montre que, dans le cadre du travail, les femmes sont confrontées au sexisme sur différents plans :
- Par le biais de « blagues » : 8 collaboratrices sur 10 affirment en avoir déjà entendues et les trois quarts des hommes s’en disent témoins (74%) ;
- Dans leur travail au quotidien : 44% des femmes ont eu l’impression de recevoir un traitement différent d’un homme ;
- Dans la remise en cause de leurs capacités à manager une équipe : près d’une collaboratrice sur deux estime avoir déjà entendu des propos disqualifiants à l’égard des aptitudes managériales des femmes (pour manager une équipe (44%) ou diriger un service ou une entreprise (43%) ;
- Vis-à-vis de la maternité et du temps partiel : les trois quarts des femmes ont déjà entendu des préjugés associés à la maternité (75%), dont un quart (23%) à leur sujet ;
- Dans l’évolution professionnelle : 52% des femmes jugent avoir déjà été confrontées à certaines limites au cours de leur carrière en raison de leur sexe (augmentations/primes non reçues : 37%, promotions non accordées : 31%).
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On pourrait y ajouter les expériences de « mansplaining » : un concept féministe né dans les années 2010 qui désigne une situation dans laquelle un homme explique à une femme quelque chose qu’elle sait déjà, voire dont elle est experte, souvent sur un ton paternaliste ou condescendant.
L’exemple type est celui du théologien Lyman Abbot qui affirmait au début des années 1900 que les femmes ne voulaient pas du droit de vote en dépit de la montée des mouvements suffragistes. On appréciera… Même logique avec le « manterrupting » qui caractérise les interruptions constantes des hommes lorsque les femmes sont amenées à prendre la parole, notamment dans les meetings politiques.
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Quels sont les droits des femmes pour se protéger du sexisme ?
Si le sexisme ordinaire au travail a toujours existé, hélas, ce n’est que depuis peu qu’il est clairement identifié, nommé, dénoncé, combattu, et finalement pris en charge par un arsenal législatif :
- La loi du 3 août 2018, dite loi “Schiappa”, instaure, outre une amende, l’obligation pour l’auteur d’un outrage de suivre, à ses frais, “un stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes”.
- La loi Avenir professionnel du 5 septembre 2018 a, elle, créé l’obligation pour les entreprises (d’au moins 250 salariés) et les représentants du personnel (pour les CSE des entreprises de 11 à 250 employés) de désigner des référents en matière de harcèlement sexuel et comportements sexistes.
- La loi santé au travail du 2 août 2021 complète la définition du harcèlement sexuel en précisant que les comportements à connotation sexiste, introduits par la loi Rebsamen du 17 août 2015, peuvent également caractériser une infraction de harcèlement sexuel.
Ce dernier point est essentiel car le lien entre sexisme ordinaire et harcèlement sexuel est loin d’être compris. A cet égard, le jugement prononcé le 7 février 2017 par la cour d’appel d’Orléans, saisie par le Défenseur des droits, constitue une réelle avancée : le Tribunal a en effet condamné un employeur (en l’occurrence un quotidien régional) pour harcèlement sexuel et moral, estimant que « le harcèlement sexuel peut consister en un harcèlement environnemental ou d’ambiance, où, sans être directement visée, la victime subit les provocations et blagues obscènes et vulgaires qui lui deviennent insupportables”.
Chez Réjeanne, nous sommes très sensibles à cette première qualification jurisprudentielle du sexisme ordinaire au travail ! Work in progress…
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