Premier rapport parlementaire sur la pornographie en France
Explosif, accablant, épouvantable, glaçant, les mots employés par les médias lors de la publication le 30 septembre 2022 du premier rapport parlementaire sur la pornographie en France semblent bien insuffisants pour qualifier le contenu du document intitulé « Porno : l’enfer du décor ». Un état des lieux implacable, précis et documenté, un cri d’alarme aussi face aux ravages d’une industrie hautement « prédatrice », selon les auteures du rapport.
Aux commandes de ce gigantesque travail, quatre femmes, quatre sénatrices, Annick Billon (UDI), Alexandra Borchio Fontimp (LR), Laurence Cohen (PCF) et Laurence Rossignol (PS), missionnées par la Délégation aux droits des femmes du Sénat, un organisme en charge « d’informer le Sénat de la politique suivie par le gouvernement au regard de ses conséquences sur les droits des femmes et sur l’égalité des chances entre les hommes et les femmes ». C’est donc bien de droits des femmes qu’il s’agit, et les conclusions sont sans appel : l’industrie de la pornographie est ni plus ni moins une redoutable « machine à broyer les femmes » et il est grand temps « d’ouvrir enfin les yeux de tous sur ce système de violences ». C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, chez Réjeanne, nous avons souhaité vous faire parvenir ces informations.
Les enjeux du premier rapport sur la pornographie en France
🔙 La délégation #DroitsFemmesSénat a publié cette semaine son rapport sur l’industrie de la pornographie. ⬇️ https://t.co/9uIVjvRtW7
— Sénat (@Senat) October 1, 2022
Le 28 septembre 2022, les quatre rapporteures de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, présentaient en ces termes à la presse leur rapport sur l’industrie de la pornographie :
« Pendant plus de six mois, la délégation a mené des travaux sur l’industrie pornographique : des dizaines d’heures d’auditions, dont celle à huis clos de victimes de l’affaire dite French Bukkake, une analyse des contenus pornographiques disponibles en ligne aujourd’hui, le recueil de données chiffrées, le recours à une étude de législation comparée…
Les rapporteures présenteront le tableau sombre que ces travaux ont permis de dresser. Elles entendent alerter le gouvernement et l’opinion publique sur les violences massivement perpétrées et véhiculées par et dans l’industrie pornographique, ainsi que sur les représentations sexistes, racistes, homophobes et inégalitaires que promeut aujourd’hui ce business mondial du sexe.
Elles s’alarment tout particulièrement de l’accès facilité, démultiplié et massif des mineurs et des adultes à des contenus pornographiques de plus en plus violents et toxiques.
Elles appellent à une prise de conscience de toutes et tous sur ces violences systémiques et à mettre un terme au déni et à la complaisance dont bénéficie encore l’industrie du porno. Il y a urgence à engager un large débat public sur les pratiques de cette industrie.
Elles formulent une vingtaine de recommandations de nature à lutter contre les violences pornographiques et leurs conséquences. »
À lire aussi : C’est quoi la cyprine ?
Pourquoi l’industrie de la pornographie est une « machine à broyer les femmes » (et les enfants) ?
Parmi les nombreux points abordés dans le rapport et les nombreux signaux d’alarme qu’il envoie, l’accent est particulièrement mis sur les violences que l’industrie du porno commet à l’égard des femmes, et cela à plusieurs niveaux :
La violence est d’abord celle, inouïe, subie par les actrices du porno
Depuis les années 2000, la diffusion des contenus pornographiques a explosé avec l’apparition des grandes plateformes de streaming, ce qui, dénonce le rapport, « a contribué à la recrudescence de contenus de plus en plus ‘trash’ et violents, sans aucun contrôle ni considération pour les conditions dans lesquelles ces contenus sont produits ». De fait, « les producteurs ne craignent pas d’exploiter la vulnérabilité économique et psychologique de femmes jeunes, voire très jeunes, et de réaliser des tournages dans des conditions déplorables ». Il faut savoir que 90% des scènes pornographiques comportent de la violence et, insiste le rapport, que « ces violences sexuelles, physiques et verbales ne sont pas simulées mais bien réelles pour les femmes filmées ».
Ces constats sont notamment étayés par l’affaire « French Bukkake » qui a vu l’interpellation d’une quinzaine d’entrepreneurs du porno dit « amateur » dans le cadre d’une information judiciaire ouverte en octobre 2020 pour traite d’êtres humains aggravée, viols en réunion ou encore proxénétisme aggravé. Les modes opératoires décrits font frémir : premier viol « de soumission », processus de déshumanisation, manipulation, chantage, emprise, actes sexuels forcés, partenaires multiples imposés, viols…
À lire aussi : La douleur lors des rapports sexuels
Une violence qui se répercute sur les pratiques sexuelles
Deuxième type de victimes, les femmes « qui subissent une sexualité calquée sur les normes de violences véhiculées par le porno ». Aujourd’hui, les contenus pornographiques représentent une requête sur huit sur un ordinateur, une sur cinq sur Smartphone. Il s’agit donc d’un véritable phénomène de masse, et donc de la diffusion en masse d’un type de sexualité violent et ultra-sexiste. Le rapport explique en détail comment l’industrie pornographique contribue à construire un véritable système de domination et de violences faites aux femmes : « 88 % des scènes pornographiques contiennent de la violence explicite. Le porno dit trash il y a quelques dizaines d’années est devenu le porno mainstream d’aujourd’hui. Les contenus les plus violents sont les plus regardés. Les vidéos figurant dans les top rated contiennent des pratiques extrêmement violentes ».
Une violence qui « colonise les cerveaux des mineurs »
Source : Opinionway, 2018
On touche là à la question de l’accès à la pornographie : 12% des consommateurs de porno ont moins de 18 ans : « Le porno, y compris le porno le plus extrême et trash, est aujourd’hui à portée de clic, accessible à toutes et tous en ligne, gratuitement, et sans aucune barrière ni garde-fou. Sa consommation est devenue massive, chez les adultes mais aussi chez les adolescents voire chez les enfants ».
Le rapport parle à cet égard de « colonisation des cerveaux » pour évoquer les conséquences de ce phénomène sur le rapport des mineurs à la sexualité et aux femmes. Maria Hernandez-Mora, psychologue clinicienne spécialisée dans les addictions sexuelles et cyber-sexuelles, parle quant à elle de « viol psychique » : « Pour l’enfant, les images pornographiques constituent des images traumatiques qu’il n’est pas capable d’analyser ».
À lire aussi :
Comment lutter contre les ravages de l’industrie pornographique ?
Le rapport présente un certain nombre de recommandations regroupés en quatre grands chapitres :
- Imposer dans le débat public la lutte contre les violences pornographiques ;
- Faciliter les suppressions de contenus illicites et le droit à l’oubli ;
- Appliquer la loi sur l’interdiction d’accès des mineurs et protéger la jeunesse ;
- Éduquer, éduquer, éduquer.
Beaucoup de ces recommandations visent la puissance publique, invitée à prendre sérieusement le problème en mains. Mais il est aussi de la responsabilité de chacun de s’informer et d’informer et éduquer dans toutes les sphères de la vie : professionnelle, sociale et familiale.